Le présent ouvrage s’inscrit dans une série de livres blancs et de guides pratiques du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz. Il revient, en 99 articles et entretiens, sur les principales évolutions du droit social et leur impact sur la profession d’avocat, tant sur le plan de l’exercice professionnel que de la gestion et de la stratégie de développement des structures d’exercice, autour d’écrits, de podcasts et de vidéos.
Réunissant près de 140 contributeurs, professeurs, avocats, magistrats, conseillers prud’hommes, inspecteurs du travail, responsables des ressources humaines, juristes, experts, etc., cet ouvrage ne prétend à aucune exhaustivité. S’il offre des clés de compréhension, il a d’abord été conçu comme une mosaïque de libres expressions et de contributions librement choisies par leurs auteurs servant de jalons à un débat plus large et approfondi. C’est ce débat, ce dialogue indispensable à une pleine adaptation aux changements présents et à venir, que le Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz entend accompagner, notamment avec l’organisation dans les prochaines semaines d’évènements-débats à Paris et en région.
Krys Pagani
Pilote du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz
Laurent Dargent
Rédacteur en chef, Dalloz actualité
Co-pilote du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz
Agencer l’accord collectif et le contrat de travail
Publié le 29/11/2022
David Jacotot
Le rapport entre l’accord collectif et le contrat de travail n’est certainement pas celui de l’indifférence. Ces deux actes ne mènent pas une vie totalement séparée, cloisonnée, parallèle. Deux phénomènes attirent alors l’attention : d’une part, la « contractualisation » de l’accord collectif ; d’autre part, la soumission du contrat de travail à l’accord collectif.
Deux sources distinctes, mais reliées
Ce thème n’est pas nouveau [1], mais n’en demeure pas moins d’actualité. D’un côté, le législateur ne cesse de nourrir un mouvement en faveur d’un droit du travail de plus en plus négocié, de la production de règles sur mesure façonnées par les acteurs sociaux eux-mêmes [2]. De l’autre, le « renouveau du contrat de travail », œuvre principalement d’origine jurisprudentielle, où l’objectivation de son contenu supplante souvent la volonté des parties (approche subjective), synthétise un second mouvement. S’il est affirmé que les normes conventionnelles ne sont pas incorporées au contrat de travail, ces deux actes ne mènent pas pour autant des vies strictement parallèles, totalement séparées, tout simplement parce qu’ils ont vocation à s’appliquer aux mêmes personnes. Bien que distincts, ils ont des cibles communes. C’est donc au stade de leur exécution qu’ils se rencontrent nécessairement.
Le phénomène de « contractualisation » d’un accord collectif
La référence à des normes externes au contrat – dont la production originaire ne résulte pas de la volonté des parties – enrichit son contenu. Son but est a priori pédagogique, sa valeur étant informative. À rebours des apparences, la Cour de cassation lui confère – parfois - une valeur contractuelle ; ce faisant, la règle externe conserve sa force normative propre, dépendant de sa source (un accord collectif ou un engagement unilatéral), mais elle se trouve dédoublée pour être revêtue également de la force obligatoire dérivant du contrat. C’est une opération de duplication qui font qu’une même règle possède deux sources. Ainsi, pour supprimer totalement la règle, faut-il nécessairement deux actes, l’un, unilatéral (la dénonciation de l’accord collectif par exemple), l’autre, bilatéral, par un avenant au contrat de travail qui éteint les obligations. La « contractualisation » est-elle un phénomène naturel, orthodoxe ? La liberté contractuelle – versant libre détermination du contenu du contrat (sous réserve de ne pas heurter l’ordre public notamment) – la fonde. Pour l’empêcher, il faudra admettre le caractère indisponible de ladite règle.
Identification du critère de contractualisation
L’on songe immédiatement à l’approche subjective, la volonté des parties [3]. Mais celle-ci n’est jamais simple à détecter car les contractants prennent rarement la précaution de recourir aux expressions, « clause informative », « stipulation ayant pour seul objet de rappeler une disposition applicable en vertu de… (tel texte) ». Sur le plan sociologique (sans rigueur), il a souvent été constaté que la référence à un accord collectif ou à une de ses clauses n’était là que pour insister sur un ou des point(s) particulier(s) : elle sert à attirer l’attention. Si l’on admet que chacun sait qu’il existe des normes extérieures au contrat, la contractualisation devrait résulter uniquement d’une mention expresse dans le contrat, vecteur d’une certitude. Certains opposeront que le salarié n'est pas en position de négocier une telle mention, voire n'est pas conscient de son utilité. Avec ce postulat, n'est-ce pas douter de la volonté de cette partie de contractualiser ? En vérité, il s’agit, artificiellement, de promouvoir un instrument de protection du travailleur : la volonté est absente en amont (celle de contractualiser), pour jouer en aval, c’est-à-dire pour empêcher la disparition de l’avantage (par le jeu de la modification du contrat). En outre, s’en remettre à la seule interprétation judiciaire s’avère peu séduisant : si la Cour de cassation exige une « volonté claire et non équivoque » de contractualiser [4], celle-ci est douteuse à la lecture de certains arrêts [5].
Le donné et le construit : l’article L. 2254-1 du Code du travail
Selon ce texte, inséré dans un chapitre IV intitulé « Rapports entre conventions et accords collectifs et contrat de travail », « lorsqu'un employeur est lié par les clauses d'une convention ou d'un accord, ces clauses s'appliquent aux contrats de travail conclus avec lui, sauf stipulations plus favorables ». Il résout une problématique du type « droit en concours », où deux actes juridiques ont le même objet ou la même cause [6]. Il n’est nul besoin, comme il est parfois écrit, d’invoquer une substitution de plein droit...