Le présent ouvrage s’inscrit dans une série de livres blancs et de guides pratiques du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz. Il revient, en 99 articles et entretiens, sur les principales évolutions du droit social et leur impact sur la profession d’avocat, tant sur le plan de l’exercice professionnel que de la gestion et de la stratégie de développement des structures d’exercice, autour d’écrits, de podcasts et de vidéos.
Réunissant près de 140 contributeurs, professeurs, avocats, magistrats, conseillers prud’hommes, inspecteurs du travail, responsables des ressources humaines, juristes, experts, etc., cet ouvrage ne prétend à aucune exhaustivité. S’il offre des clés de compréhension, il a d’abord été conçu comme une mosaïque de libres expressions et de contributions librement choisies par leurs auteurs servant de jalons à un débat plus large et approfondi. C’est ce débat, ce dialogue indispensable à une pleine adaptation aux changements présents et à venir, que le Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz entend accompagner, notamment avec l’organisation dans les prochaines semaines d’évènements-débats à Paris et en région.
Krys Pagani
Pilote du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz
Laurent Dargent
Rédacteur en chef, Dalloz actualité
Co-pilote du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz
De l’importance de la prise en compte du droit commercial par l’avocat en droit du travail
Publié le 28/11/2022
Krys Pagani
Mélody Pellissier
La pratique du droit social oblige de plus en plus à la prise en compte d’autres branches du droit, au premier rang desquelles figurent le droit des sociétés et, plus largement, le droit commercial. Les interactions entre ces matières présentent de forts enjeux pratiques, que les professionnels du droit social peuvent difficilement ignorer.
« Le droit du travail n’est pas une île mais constitue une pièce
du droit de l’entreprise et, au-delà, du droit des affaires,
où il manifeste sa présence et dont il subit l’influence. »
Bernard Teyssié, De la loi à l’accord, variations sur la
refondation du Code du travail, JCP S 2017. 1179.
À l’instar du Professeur Teyssié, chaque année, l’ensemble – ou presque – du corps professoral des masters spécialisés en droit social alertent leurs étudiants sur le fait que le droit social n’est pas une matière isolée, fonctionnant en autarcie, mais qu’elle entretient un lien consubstantiel avec les autres branches du droit, et notamment le droit commercial. Mais, si la raison peut inspirer le discours, c’est l’habitude qui gouverne trop souvent les actions [1]. Et l’on constate, trop fréquemment pour ne pas s’en inquiéter, que ces étudiants, parfaitement au fait des règles les plus complexes du droit social, ignorent, lorsqu’ils arrivent en stage ou en collaboration, le droit commercial, à l’exception peut-être du droit des procédures collectives. Cette situation, qui participe du phénomène de tribu, a deux causes principales. La première, la plus souvent relevée, est liée au mouvement de spécialisation, qui enferme trop tôt les étudiants dans leur spécialité et ne les ouvre pas assez aux autres branches du droit. Les rappels de l’unité du système juridique sont alors sans effet s’ils ne se traduisent pas concrètement par des enseignements dispensés notamment en droit commercial lors de l’année de Master 2. La seconde est davantage propre au droit social et à la conviction que celui-ci obéit à des règles autonomes très éloignées tant du droit commun des contrats que du droit commercial [2]. Cette situation, qui pourrait faire craindre un isolement du droit social, n’est cependant pas une fatalité, et la méconnaissance par ses praticiens des autres branches du droit, en particulier du droit commercial, n’est pas un horizon indépassable. Certains cabinets d’affaires, notamment anglo-saxons, proposent à leurs collaborateurs juniors de passer plusieurs mois au sein d’une autre équipe du cabinet. Il est vrai que la culture anglo-saxonne, dans l’enseignement du droit au sein des universités, privilégie davantage que la nôtre la formation généraliste. Il n’est d’ailleurs pas rare, aux États-Unis ou au Royaume-Uni, qu’un avocat ne se spécialise qu’après 3 à 5 ans d’exercice.
Durant de nombreuses années, les mondes du droit du travail et du droit commercial ont entretenu des relations distantes pouvant avoir, ici et là, d’importantes conséquences pratiques allant de la perte d’un contentieux à la suspension d’une opération. Certains conseils, qui envisageaient de manière accessoire l'apport du droit social dans ces opérations, l'ont compris à leurs dépens. De multiples exemples d'opérations de fusion-absorption suspendues jusqu'à la réalisation parfaite des opérations d'information-consultation des institutions représentatives du personnel pourraient être cités, en particulier celui emblématique de la fusion GDF-Suez [3], suspendue pendant deux ans, alors qu’elle avait été actée juridiquement par le département corporate, en raison de l’absence ou de l’insuffisance de la consultation du comité d’entreprise européen. Peuvent encore être citées les opérations de vente d’un fonds de commerce ou d’une participation majoritaire dans les SARL et sociétés par actions de moins de 250 salariés, qui sont subordonnées, depuis la loi Hamon [4], au respect d’une obligation d’information des salariés, dont le non-respect est sanctionné par d’importantes pénalités.
La pratique, qui se doit d’épouser le réel pour être efficace, a su évoluer. Depuis quelques années, un mouvement de rapprochement des praticiens du droit commercial et du droit social est perceptible. Une grande majorité des cabinets d’affaires se sont ainsi dotés d’un département de droit social et ne sous-traitent plus les questions sociales à des cabinets spécialisés. Cette intégration résulte de la compréhension par les professionnels que la plupart des opérations économiques, financières et comptables ne peuvent se dérouler convenablement sans la prise en compte, dès les premiers échanges, d’un conseil spécialisé en droit social. Outre qu’elle permet la coordination entre les différents spécialistes intervenant sur...