Le présent ouvrage s’inscrit dans une série de livres blancs et de guides pratiques du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz. Il revient, en 99 articles et entretiens, sur les principales évolutions du droit social et leur impact sur la profession d’avocat, tant sur le plan de l’exercice professionnel que de la gestion et de la stratégie de développement des structures d’exercice, autour d’écrits, de podcasts et de vidéos.
Réunissant près de 140 contributeurs, professeurs, avocats, magistrats, conseillers prud’hommes, inspecteurs du travail, responsables des ressources humaines, juristes, experts, etc., cet ouvrage ne prétend à aucune exhaustivité. S’il offre des clés de compréhension, il a d’abord été conçu comme une mosaïque de libres expressions et de contributions librement choisies par leurs auteurs servant de jalons à un débat plus large et approfondi. C’est ce débat, ce dialogue indispensable à une pleine adaptation aux changements présents et à venir, que le Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz entend accompagner, notamment avec l’organisation dans les prochaines semaines d’évènements-débats à Paris et en région.
Krys Pagani
Pilote du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz
Laurent Dargent
Rédacteur en chef, Dalloz actualité
Co-pilote du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz
Fondamentaliser le droit du licenciement ?
Publié le 29/11/2022
Thomas Pasquier
L'émergence des droits fondamentaux dans le discours juridique a participé d'un mouvement de transformation des branches du droit désigné sous la terminologie de « fondamentalisation du droit ». Le droit du travail français n'a pas échappé à ce mouvement qui, bien que commun à la plupart des branches du droit français, s'est particulièrement déployé en son sein tant et si bien qu'il est aujourd'hui communément admis d'envisager l'hypothèse de la fondamentalisation du droit du travail. Rapportée au droit du licenciement, la fondamentalisation pourrait s'entendre d'une forme de référence croissante aux droits et libertés fondamentaux dans le cadre du contentieux du licenciement. Si traditionnellement, la référence aux droits fondamentaux apparait comme une manière de raffermir les droits des salariés dans la confrontation aux décisions de l'employeur, elle produit également des effets induits que d'aucuns qualifient de contresens ou encore de réversibilité des droits fondamentaux. C'est à l'analyse de cette réversibilité qu'est consacrée la présente contribution.
En 1973, le législateur a bouleversé l’économie générale du droit du licenciement. En imposant à l’employeur qu’il justifie d’une cause réelle et sérieuse pour fonder le licenciement, la loi a durablement reformulé la question des régimes de contrôle des actes de pouvoir et des prérogatives contractuelles, jusqu’alors principalement soumis à la limite de l’abus. Depuis lors, l’acte de licenciement est soumis à l’exigence d’une énonciation rationnelle et objective des raisons qui président à la mise en cause de l’emploi du salarié. Au fil du temps, la jurisprudence, notamment de la Cour de cassation, a distingué dans le régime de sanction entre les actes relevant du licenciement sans cause réelle et sérieuse et ceux relevant de la nullité du licenciement. Une frontière a ainsi été tracée entre les licenciements sans cause réelle et sérieuse et les licenciements attentatoires à un droit ou une liberté fondamentale. Sans rapport de principe à exception, mais sans doute avec la conscience de la supérieure gravité de l’atteinte aux droits et libertés fondamentaux, la Cour de cassation a érigé un système permettant de protéger les droits fondamentaux des salariés tout en construisant un régime propre du contrôle de la cause réelle et sérieuse. Aujourd’hui une question se pose : la coexistence pacifique et ordonnée est-elle toujours respectée ? Précisément, n’assiste-t-on pas aujourd’hui à une forme d’absorption du régime de la cause réelle et sérieuse, par celui des droits et libertés fondamentaux, à une fondamentalisation du droit du licenciement ? Plusieurs précisions s’imposent à l’analyse de cette question.
Rappelons que, depuis le célèbre arrêt Peintures Corona [1] et l’introduction du non moins célèbre article L. 120-2 devenu L. 1121-1 du Code du travail, le droit du travail français a été saisi par un mouvement qui, bien que commun à la plupart des branches du droit français [2], s’est tout particulièrement déployé en son sein [3] : celui de la fondamentalisation [4]. Et aujourd’hui le constat peut être partagé qu’aucun des domaines d’action du droit du travail n’échappe à l’emprise – l’empire – des droits fondamentaux. Doit-on s’en réjouir ou le déplorer ? Pour les plus libéraux, la « logique » des droits fondamentaux serait corrosive car elle soumettrait l’exercice du pouvoir de l’employeur à une forme de gouvernement des juges, sous les traits de la proportionnalité, au mépris de la cohérence et de l’intégrité du système juridique [5]. Pour les partisans d’une analyse critique, les droits fondamentaux seraient l’expression d’une dégradation de l’ordre public social au profit d’une forme d’individualisation du contentieux du droit du travail et, in fine, le cheval de Troyes des métamorphoses du capitalisme contemporain [6]. Si la rhétorique invite à souligner que la « vérité » se situe sans doute entre ces deux branches de l’alternative, l’on voudrait ici interroger un axiome qui semble partagé par la plupart des commentateurs : la référence aux droits fondamentaux serait protectrice des droits du salarié en ce qu’elle offre un instrument supplémentaire pour contrôler l’exercice du pouvoir de l’employeur.
Précisons immédiatement : il ne s’agit pas de remettre en question le fait que, dans sa fonction première, la référence aux droits fondamentaux participe du contrôle des décisions de l’employeur, témoignant ainsi d’une forme de constitutionalisation de la personne au travail ou de démocratisation de l’entreprise. Toutefois, il est permis de se demander si, in fine, la référence aux droits fondamentaux ne va pas trop loin et si elle...