Le présent ouvrage s’inscrit dans une série de livres blancs et de guides pratiques du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz. Il revient, en 99 articles et entretiens, sur les principales évolutions du droit social et leur impact sur la profession d’avocat, tant sur le plan de l’exercice professionnel que de la gestion et de la stratégie de développement des structures d’exercice, autour d’écrits, de podcasts et de vidéos.
Réunissant près de 140 contributeurs, professeurs, avocats, magistrats, conseillers prud’hommes, inspecteurs du travail, responsables des ressources humaines, juristes, experts, etc., cet ouvrage ne prétend à aucune exhaustivité. S’il offre des clés de compréhension, il a d’abord été conçu comme une mosaïque de libres expressions et de contributions librement choisies par leurs auteurs servant de jalons à un débat plus large et approfondi. C’est ce débat, ce dialogue indispensable à une pleine adaptation aux changements présents et à venir, que le Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz entend accompagner, notamment avec l’organisation dans les prochaines semaines d’évènements-débats à Paris et en région.
Krys Pagani
Pilote du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz
Laurent Dargent
Rédacteur en chef, Dalloz actualité
Co-pilote du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz
L’articulation des accords collectifs de travail
Publié le 29/11/2022
Florence Bergeron
L’articulation des accords collectifs de travail et, plus précisément, l’articulation entre accord de branche et accord d’entreprise, a fait l’objet de diverses réformes législatives, tendant toutes vers l’affranchissement du second par rapport au premier. La poursuite d’un tel mouvement suppose que soit mesuré son impact réel.
Si la loi « Travail » du 8 août 2016 ne s’est pas traduite, comme cela a pu être soutenu (voire scandé lors des manifestations de rue auxquelles elle a donné lieu), par une inversion de la hiérarchie des normes - la loi restant toujours maîtresse de son ordonnancement avec les normes négociées et de l’ordonnancement de ces dernières entre elles -, il est certain qu’elle a contribué largement au mouvement de décentrement de la négociation collective. Elle s’inscrit ainsi dans une dynamique, initiée avec la loi du 4 mai 2004, visant à affranchir l’accord d’entreprise de l’emprise de l’accord plus large, accord de branche en particulier.
Le refrain est connu : tandis que la loi de 2004 a mobilisé en ce sens la technique de la dérogation, les lois du 20 août 2008, du 8 août 2016 et l’ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective ont adopté celle de la supplétivité. Sous l’empire de la loi de 2004, la faculté pour l’accord d’entreprise de déroger à l’accord de branche - traduire, pour faire court, par faculté de comporter des stipulations défavorables aux salariés – était érigée en principe, mais l’accord de branche, en se voyant octroyer le pouvoir d’empêcher la dérogation à ses propres stipulations via des clauses de verrouillage, était en mesure d’imposer son impérativité à l’accord d’entreprise, qui pouvait toujours lui être plus favorable.
Le législateur avait tout de même prévu quatre domaines dans lesquels l’accord d’entreprise ne pouvait pas comporter de clauses dérogeant à celles des conventions de branche ou accords professionnels ou interprofessionnels (salaires minima, classifications, garanties collectives de sécurité sociale et de mutualisation des fonds destinés à la formation professionnelle).
Sur le plan des principes, le changement opéré dans l’ordonnancement des normes conventionnelles était de taille : alors que, jusqu’à cette réforme, l’accord d’entreprise ne pouvait qu’améliorer, voire adapter sous réserve du respect du principe de faveur, les clauses conventionnelles de branche, il se voyait ainsi reconnaître, par principe, la faculté d’écarter ces dernières. Toutefois, en pratique, la révolution attendue par les pouvoirs publics n’eut pas lieu, essentiellement en raison du fait que nombre d’accords de branche ont stipulé des clauses de verrouillage.
C’est notamment pour contrer ces clauses que la loi du 20 août 2008 a instillé, dans l’ordonnancement entre accord de branche et d’entreprise, une dose de supplétivité : sur cinq thèmes (contingent annuel d’heures supplémentaires, aménagement du temps de travail, conventions de forfait en heures ou en jours sur l’année, repos compensateur équivalent et compte épargne-temps), l’accord de branche, devenu supplétif de l’accord d’entreprise, perdait la main, ne s’appliquant plus qu’en l’absence d’accord d’entreprise - ou de stipulations de ce dernier portant sur le même objet. La loi du 8 août 2016, amplifiant le mouvement, a consacré sur presque toutes les questions relatives à la durée du travail, au repos et aux congés la supplétivité de l’accord de branche par rapport à l’accord d’entreprise ou, pour le dire autrement, la primauté du second sur le premier (en même temps qu’elle permettait à l’accord de groupe, via une clause de substitution, d’« écraser » les stipulations de l’accord d’entreprise, les intérêts financiers du groupe l’emportant sur les mérites tant vantés de la négociation décentralisée).
Pour le reste, continuait à s’appliquer le schéma dessiné par la loi du 4 mai 2004 : les facultés, pour l’accord d’entreprise, de déroger à l’accord de branche restaient entre les mains des signataires de ce dernier, sauf dans les matières, passées de quatre à six (étaient ajoutées la prévention de la pénibilité et l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes), dans lesquelles la loi imposait l’impérativité de l’accord de branche.
L’ordonnance précitée du 22 septembre 2017 s’est attelée, à son tour, à modifier les « rapports entre accords d’entreprise ou d’établissement et accords couvrant un champ territorial ou professionnel plus large, notamment accords de branche » (selon les termes du chapitre Ier du Titre Ier de l’ordonnance), tandis que, s’agissant des rapports entre accords de branche de niveaux géographiques différents, ou...