Le présent ouvrage s’inscrit dans une série de livres blancs et de guides pratiques du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz. Il revient, en 99 articles et entretiens, sur les principales évolutions du droit social et leur impact sur la profession d’avocat, tant sur le plan de l’exercice professionnel que de la gestion et de la stratégie de développement des structures d’exercice, autour d’écrits, de podcasts et de vidéos.
Réunissant près de 140 contributeurs, professeurs, avocats, magistrats, conseillers prud’hommes, inspecteurs du travail, responsables des ressources humaines, juristes, experts, etc., cet ouvrage ne prétend à aucune exhaustivité. S’il offre des clés de compréhension, il a d’abord été conçu comme une mosaïque de libres expressions et de contributions librement choisies par leurs auteurs servant de jalons à un débat plus large et approfondi. C’est ce débat, ce dialogue indispensable à une pleine adaptation aux changements présents et à venir, que le Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz entend accompagner, notamment avec l’organisation dans les prochaines semaines d’évènements-débats à Paris et en région.
Krys Pagani
Pilote du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz
Laurent Dargent
Rédacteur en chef, Dalloz actualité
Co-pilote du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz
L'émergence d'un droit public du travail
Publié le 29/11/2022
Stéphane Bloch
Si le droit du travail et celui de la fonction publique coexistent toujours, il est désormais acquis que ce dernier est irrigué depuis une vingtaine d’années par des courants travaillistes de plus en plus constants. La loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique en témoigne et il n’est pas abusif de distinguer dans son sillage l’émergence d’un droit public du travail. Belle occasion pour les praticiens du droit que nous sommes de surmonter les clivages et de voguer unis vers un droit de l’emploi.
Le mur qui séparait le droit du travail du droit de la fonction publique paraissait infranchissable et les lézardes du temps ne semblaient pas avoir de prise sur lui. Il avait, il est vrai, été érigé sur des fondations solides marquées par la summa divisio cardinale de notre droit, d’un côté le droit public de l’autre le droit privé. D’un côté le monde de l’unilatéral avec un Statut général de la fonction publique d’Etat et ses déclinaisons hospitalière et territoriale, de l’autre l’univers de la négociation collective avec un Code du travail en constante évolution.
Pourtant, alors même que l’encre du statut général des fonctionnaires de l’État édicté par la loi du 19 octobre 1946 était encore humide, un auteur (et quel auteur !) prédisait la fin prochaine de cette opposition. Dans son célèbre article, « vers la fin du droit de la fonction publique ? » écrit en 1947, Jean Rivero se demandait déjà si l’on ne verrait « pas se substituer à l’ancienne opposition du fonctionnaire et du salarié, une gamme de statuts appliquant […] des principes de base identiques mais nuançant avantages et sujétions selon que l’activité considérée serait liée de façon plus ou moins étroite à l’intérêt public ? » [1].
Quelques décennies plus tard, cette prophétie se réalise. Du point de vue du droit de l’Union européenne, les agents publics sont des travailleurs comme les autres et depuis une vingtaine d’années, dans la sphère domestique, l’écart entre le droit du travail et le droit de la fonction publique tend à se réduire dans le sens d’une attraction évidente du second vers le premier.
Le décloisonnement est donc bien engagé et l’avocat des relations du travail, qu’il ait été élevé au sein du Statut ou à celui des conventions collectives ne peut plus l’ignorer, surtout depuis la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique qui porte en elle les germes et même les premières pousses d’une « travaillisation » assumée du droit de la fonction publique [2].
La lente mais certaine élaboration d’un droit public du travail, aboutissement de ce phénomène de « travaillisation », trouve aujourd’hui son expression concrète dans trois domaines.
Celui du dialogue social tout d’abord avec une représentation des agents publics au sein d’instances désormais très proches de celles présentes dans les entreprises privées. Le comité social et économique (CSE), mis en place par l’ordonnance « Macron » n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, est ainsi dupliqué dans les administrations de l’État et dans tous les établissements publics ne présentant pas un caractère industriel ou commercial, sous les traits d’un comité social d’administration (CSA).
Celui du dialogue social, toujours, avec une consécration de la négociation collective qui, sous certaines conditions, a enfin force normative depuis l’ordonnance du 17 février 2021 relative à la négociation et aux accords collectifs dans la fonction publique, prise en application de la loi du 6 août 2019.
Certes, la loi du 5 juillet 2010 relative à la rénovation du dialogue social dans la fonction publique avait reconnu ces pratiques mais les accords qui étaient négociés n’avaient en eux- mêmes aucune valeur contraignante.
C’est chose faite et dans ce sillage creusé par la transformation de la fonction publique de 2019, pour ne pas utiliser le mot qui fâche de « réforme », se dessine peu à peu un statut conventionnel des fonctionnaires qui pourrait varier d’une administration, d’un établissement public ou d’une collectivité territoriale à l’autre.
Cette faveur pour la norme de proximité était annoncée dès l’exposé des motifs de la loi du 6 août : « l’objectif est de promouvoir le rôle et la culture de la négociation et d’en développer la pratique, en particulier aux niveaux de proximité qui constituent le quotidien des agents ».
Cela fait furieusement écho aux réformes pas si lointaines en droit du travail afin que le statut social des travailleurs puisse être ajusté aux particularismes des entreprises.
Celui du contrat ensuite, dans le processus du recrutement des agents publics, la loi du 6 août 2019 ayant affiché une volonté non...