Le présent ouvrage s’inscrit dans une série de livres blancs et de guides pratiques du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz. Il revient, en 99 articles et entretiens, sur les principales évolutions du droit social et leur impact sur la profession d’avocat, tant sur le plan de l’exercice professionnel que de la gestion et de la stratégie de développement des structures d’exercice, autour d’écrits, de podcasts et de vidéos.
Réunissant près de 140 contributeurs, professeurs, avocats, magistrats, conseillers prud’hommes, inspecteurs du travail, responsables des ressources humaines, juristes, experts, etc., cet ouvrage ne prétend à aucune exhaustivité. S’il offre des clés de compréhension, il a d’abord été conçu comme une mosaïque de libres expressions et de contributions librement choisies par leurs auteurs servant de jalons à un débat plus large et approfondi. C’est ce débat, ce dialogue indispensable à une pleine adaptation aux changements présents et à venir, que le Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz entend accompagner, notamment avec l’organisation dans les prochaines semaines d’évènements-débats à Paris et en région.
Krys Pagani
Pilote du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz
Laurent Dargent
Rédacteur en chef, Dalloz actualité
Co-pilote du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz
Le licenciement abusif et la réparation intégrale du préjudice
Publié le 29/11/2022
Hélène Melmi
Dans un contexte de débat doctrinal et juridictionnel intense relatif à l’application du « barème Macron », une piste alternative semble devoir être explorée afin de contourner les plafonds d’indemnisation de l’article L. 1235-3 du Code du travail. Par la mobilisation de l’article 1780 du Code civil relatif à la cessation du contrat de louage de service, jamais abrogé, la notion de licenciement abusif apparaît comme un moyen d’obtenir la réparation intégrale du préjudice. »
À l’heure où la Cour de cassation semble sonner le glas de l’opposition au barème Macron en matière de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse [1], la résistance s’organise. Elle s’organise ainsi au sein même des juridictions, qui voient dans ces décisions la censure des juges du fond qui avaient choisi d’écarter ce barème, sur le fondement de l’article 24 de la Charte sociale européenne et de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT, lorsque cette indemnisation plafonnée ne pouvait pas offrir de réparation adéquate au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse. Dans un communiqué de presse, le Syndicat de la magistrature y dénonçait en réaction « la défiance à l’égard de la justice [qui] semble avoir gagné la Cour de cassation elle-même » [2].
Ainsi, une désobéissance peut être attendue sur le terrain de l’application du barème, particulièrement à l’aune de la décision rendue par le Comité européen des droits sociaux aux termes de laquelle il conclut que les montants prévus dans les ordonnances de septembre 2017 « ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et [pour] être dissuasifs pour l’employeur » [3].
Mais, parallèlement à cette résistance, il nous appartient d’explorer d’autres pistes de nature à permettre la réparation intégrale du préjudice subi par le salarié dont le licenciement serait injustifié, et plus précisément abusif.
Ainsi a-t-on vu, dans un jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Clermont-Ferrand postérieurement aux arrêts du 11 mai 2022, la condamnation d’un employeur sur le fondement du caractère abusif du licenciement, afin d’allouer au salarié un indemnité complémentaire à celle, plafonnée, résultant de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement [4].
Dans cette espèce, les juges du fond ont estimé que la sanction du licenciement injustifié via l’absence de cause réelle et sérieuse ne permettait pas de réparer la totalité du préjudice qui résultait du comportement manifestement fautif de l’employeur. En effet, l’employeur avait - ou aurait dû avoir - conscience du caractère injustifié de l’engagement d’une procédure de licenciement disciplinaire puisqu’il ne pouvait ignorer l’interdiction de sanctionner par un licenciement un fait – de surcroît non fautif – ayant d’ores et déjà fait l’objet d’une sanction.
La notion de licenciement abusif
S’il est vrai que la Cour de cassation n’a jamais cessé de considérer comme constituant un préjudice, distinct de celui tiré de la perte injustifiée de l’emploi, le préjudice résultant « des circonstances vexatoires ou brutales de la rupture » [5] et fondé sur la notion d’abus de droit, la notion d’abus de droit doit cependant pouvoir s’attacher au motif même du licenciement et non exclusivement aux circonstances de celui-ci [6].
En effet, la possibilité de contrôler le motif du licenciement par le prisme de l’abus de droit résulte de l’article 1780 du Code civil aux termes duquel : « le louage de service, fait sans détermination de durée, peut toujours cesser par la volonté d'une des parties contractantes.
Néanmoins, la résiliation du contrat par la volonté d'un seul des contractants peut donner lieu à des dommages-intérêts.
Pour la fixation de l'indemnité à allouer, le cas échéant, il est tenu compte des usages, de la nature des services engagés, du temps écoulé, des retenues opérées et des versements effectués en vue d'une pension de retraite, et, en général, de toutes les circonstances qui peuvent justifier l'existence et déterminer l'étendue du préjudice causé ».
Cet article, issu de la loi du 27 décembre 1890, avait cependant cessé d’être mobilisé devant les juridictions en matière de contrôle des motifs de licenciement à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 1973 qui imposait désormais que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse (C. trav., art. L. 1232-1 ; C. trav., art. L. 1233-2).Ce faisant, la théorie de l’abus de droit, qui supposait que le salarié rapporte la preuve d’un abus de droit imputable à l’employeur, avait cessé d’être utilisée. Plus contraignante, puisque la charge de la preuve de l’abus repose sur le salarié,...