Le présent ouvrage s’inscrit dans une série de livres blancs et de guides pratiques du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz. Il revient, en 99 articles et entretiens, sur les principales évolutions du droit social et leur impact sur la profession d’avocat, tant sur le plan de l’exercice professionnel que de la gestion et de la stratégie de développement des structures d’exercice, autour d’écrits, de podcasts et de vidéos.
Réunissant près de 140 contributeurs, professeurs, avocats, magistrats, conseillers prud’hommes, inspecteurs du travail, responsables des ressources humaines, juristes, experts, etc., cet ouvrage ne prétend à aucune exhaustivité. S’il offre des clés de compréhension, il a d’abord été conçu comme une mosaïque de libres expressions et de contributions librement choisies par leurs auteurs servant de jalons à un débat plus large et approfondi. C’est ce débat, ce dialogue indispensable à une pleine adaptation aux changements présents et à venir, que le Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz entend accompagner, notamment avec l’organisation dans les prochaines semaines d’évènements-débats à Paris et en région.
Krys Pagani
Pilote du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz
Laurent Dargent
Rédacteur en chef, Dalloz actualité
Co-pilote du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz
Libres propos sur les conséquences de l’abrogation du principe de l’unicité de l’instance : un sentiment de nostalgie
Publié le 29/11/2022
Jonathan Cadot
Le principe d’unicité a été pendant de nombreuses années un des particularismes de la procédure prud’homale. Il avait pour objectif initial de favoriser un traitement rapide des litiges. Ainsi, sous peine d’irrecevabilité, l’ensemble des demandes devaient être formulées dans le cadre d’une même instance. Toutefois, en contrepartie de cette obligation, il était possible de pouvoir formuler des demandes nouvelles en cours d’instance, y compris en cause d’appel, ce qui donnait une certaine souplesse à la procédure. Ce principe ayant été abrogé par le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, les avocats travaillistes ont dû changer leurs habitudes. Au-delà de la gestion de la période transitoire qui concerne l’ensemble des procédures engagées avant le 1er août 2016, il conviendra désormais de décliner les règles de procédure civile de droit commun et de les appliquer au contentieux prud’homal avec toutes les difficultés inhérentes aux caractéristiques du contrat de travail, contrat à exécution successive.
Inspiré selon le conseiller Pierre Bailly « par une volonté de simplifier le contentieux prud’homal et de favoriser un traitement rapide des litiges relevant du juge du travail » [1], le principe de l’unicité de l’instance issu de la loi Cordelet du 27 mars 1907 a signé, après une vie mouvementée [2], son arrêt de mort pour les mêmes raisons affichées, quoique guère convaincantes : simplifier la procédure prud’homale et réduire les délais.
La règle, édictée à l’ancien article R. 1452-6 du Code du travail [3], simple en apparence, obligeait le demandeur, le salarié (sauf quelques rares exceptions), à concentrer toutes ses prétentions dans une même instance dès lors qu’elles reposaient sur le même contrat de travail et qu’aucun fait nouveau ne justifiait une nouvelle procédure. Cela impliquait donc que le demandeur réactualise, si besoin, ses demandes en cours de procédure.
La sanction du non-respect de l’unicité était des plus ultimes, s’agissant d’une fin de non-recevoir, à savoir l’irrecevabilité de la demande formée dans le cadre d’une nouvelle instance, sous réserve bien entendu que le défendeur la soulève ne s’agissant pas d’une règle d’ordre public.
Pour en atténuer la portée, par un décret n° 74-783 du 12 septembre 1974, il avait été admis de pouvoir formuler des demandes nouvelles en cause d’appel sans qu’il soit requis un préalable de conciliation ou le respect des règles édictées par le code de procédure civile en matière de demandes nouvelles devant la cour [4].
Parfois décrié, il faut bien reconnaître qu’au fil du temps, et avec la disparition de certains de ses effets indésirables, notamment lorsque l’instance initiale ne s’était pas achevée par un jugement de fond [5], le principe de l’unicité donnait une certaine souplesse à la procédure prud’homale. Il s’articulait bien avec le particularisme du contentieux du contrat de travail, contrat à exécution successive qui impliquait bien souvent de formuler des demandes nouvelles en cours d’instance, que ce soit en cas de dégradation des conditions de travail du salarié, voire en cas de rupture de son contrat de travail à son initiative ou à celle de son employeur.
Le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail vient rompre l’équilibre existant en abrogeant à son article 8 le principe de l’unicité de l’instance. La notice du décret est sans ambiguïté, mentionnant « par application du droit commun du procès, les règles spécifiques de l’unicité et de la péremption d’instance sont supprimées ».
Comme indiqué, les intentions affichées sont louables. D’une part, il s’agirait de limiter les « embûches » pour les salariés se présentant seuls devant le conseil de prud’hommes, ce qui peut prêter à sourire quand on connaît le nombre de salariés concernés. Et, d’autre part, de limiter l’allongement de la durée des procédures en raison des demandes nouvelles formulées en cours d’instance, ce qui laisse songeur, ces délais étant principalement liés à des dysfonctionnements de la justice comme le confirment les multiples décisions condamnant l’État en raison des délais déraisonnables de traitement des dossiers.
À l’exception des procédures engagées avant le 1er août 2016, la procédure prud’homale se trouve donc désormais régie par les règles de droit commun, ce qui amène le demandeur à s’interroger sur les choix procéduraux qui s’offrent à lui.
Impact sur les procédures engagées avant le 1er août 2016 : la survie du principe de l’unicité
Certains auraient pu penser avec une certaine naïveté que l’article 8 du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 abrogeant le...