Le présent ouvrage s’inscrit dans une série de livres blancs et de guides pratiques du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz. Il revient, en 99 articles et entretiens, sur les principales évolutions du droit social et leur impact sur la profession d’avocat, tant sur le plan de l’exercice professionnel que de la gestion et de la stratégie de développement des structures d’exercice, autour d’écrits, de podcasts et de vidéos.
Réunissant près de 140 contributeurs, professeurs, avocats, magistrats, conseillers prud’hommes, inspecteurs du travail, responsables des ressources humaines, juristes, experts, etc., cet ouvrage ne prétend à aucune exhaustivité. S’il offre des clés de compréhension, il a d’abord été conçu comme une mosaïque de libres expressions et de contributions librement choisies par leurs auteurs servant de jalons à un débat plus large et approfondi. C’est ce débat, ce dialogue indispensable à une pleine adaptation aux changements présents et à venir, que le Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz entend accompagner, notamment avec l’organisation dans les prochaines semaines d’évènements-débats à Paris et en région.
Krys Pagani
Pilote du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz
Laurent Dargent
Rédacteur en chef, Dalloz actualité
Co-pilote du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz
Pratique d’un cabinet d’avocat en défense salariée : harcèlement et charge de la preuve
Publié le 29/11/2022
Alexis Perrin
Pascale Revel
Les récents arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation des 1er et 29 juin 2022, portant sur l’enquête diligentée par l’employeur en cas de harcèlement, questionnent légitimement les praticiens sur le cadre probatoire et l’exercice des droits de la défense. Ainsi, si la preuve est libre en la matière – comme nous le rappelle la Cour de cassation - , il n’en demeure pas moins que la valeur probante de cette enquête interne de l’employeur doit être interrogée.
Le harcèlement 2.0
Libération de la parole, réseaux sociaux, « balance ton … »
Le harcèlement moral a été introduit dans le Code du travail au travers de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, et actuellement codifié à l’article L. 1152-1 du Code du travail qui précise que le harcèlement moral se manifeste par des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail dus salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel.
Le harcèlement sexuel était lui codifié depuis la loi du 2 novembre 1992 relative à l'abus d'autorité en matière sexuelle dans les relations de travail.
Mais l'appréhension du harcèlement moral et des managements toxiques s’est transformée depuis #MeeToo et les différents posts « balance ton… » sur les réseaux sociaux.
D’un côté, il est indéniable que la communication externe facilite une prise de conscience globale tant pour les salariés directement impactés par les faits dénoncés, que pour les entreprises qui entendent ménager leur réputation.
Pour autant, il n’est pas certain que cela entraine un réel changement de pratique dans les entreprises.
Même si les employeurs revendiquent de nouveaux paradigmes – mise en place de chartes éthiques, département compliance worldwide – qu’en est-il de l’utilisation réelle de ces outils ?
Ces instruments, garants du rétablissement d’une « morale » au travail, ne fonctionnent-ils pas au contraire comme autant d’alibis vertueux, venant légitimer, pour ne pas dire faciliter les licenciements ?
Une multiplication des licenciements sur le fondement du harcèlement ?
Alors que le harcèlement était plaidé par le demandeur à l’instance et combattu par l’employeur, il est désormais régulièrement invoqué – instrumentalisé ? – par l’employeur pour licencier un salarié « harceleur ».
Au sein du Cabinet, nous constatons que le harcèlement est devenu un grief de plus en plus plébiscité par les entreprises au soutien de multiples mesures de licenciements.
Au tout départ, nous plaidions afin de faire reconnaitre par le conseil de prud’hommes, le harcèlement subi par un salarié au cours de l’exécution de son contrat de travail, sans être particulièrement adoubés par les conseillers prud’hommaux sur ce concept suspect.
Ainsi, bien souvent, la juridiction reconnaissait une exécution déloyale du contrat de travail par l’employeur, voire un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, sans juger toutefois qu’un salarié pouvait être victime de harcèlement.
De surcroît, le législateur de son côté imposait aux salariés d’établir les faits qui permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement, et la boucle était bouclée !
La loi du 8 août 2016 a modifié l’article L. 1154-1 du Code du travail, afin de permettre, dans le partage de la charge de la preuve, au salarié, non plus d’établir des faits, mais de présenter des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Le législateur entendait ainsi s’aligner sur la charge de la preuve en matière de discrimination (C. trav., L. 1134-1).
Le salarié s’estimant victime d’un harcèlement doit ainsi présenter des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement, et l’employeur doit prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le cadre de la charge de la preuve est donc désormais établi lorsque le salarié se dit victime du harcèlement.
Or les choses se compliquent lorsqu’il est reproché au salarié d’être l’auteur du harcèlement.
Haro sur le salarié harceleur…
Pourtant depuis quelques années, nous constatons que de nombreux salariés sont licenciés pour harcèlement moral voire sexuel à l’encontre de collègues de travail. Toute forme de harcèlement semble bonne à prendre au soutien providentiel de la lettre de rupture…
L’employeur a beau jeu de justifier la procédure de licenciement au visa de son obligation de sécurité. Il lui suffit de mettre en œuvre une enquête...