Quelles stratégies pour les avocats en droit social ?

Les avocats en droit social doivent s’adapter au marché, parvenu à maturité et particulièrement concurrentiel, au sein duquel ils évoluent. Les axes de réflexion stratégique dont ils doivent se saisir sont nombreux. L’avocat a toujours été stratège pour ses clients ; il doit désormais l’être pour lui-même.

Née sur les champs de bataille voilà plusieurs milliers d’années, réincarnée dans le monde des affaires à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la stratégie a finalement conquis tous les bastions du droit, des contentieux les plus classiques aux conseils à des entreprises en quête de solutions sophistiquées. Preuve de son rayonnement intellectuel sur notre époque, elle seule rassemble un champ lexical commun à l’histoire, au domaine militaire, au monde des affaires et au droit.

Pas plus que les autres disciplines juridiques, le droit social n’a pu contenir cette vague. Il est pourtant longtemps demeuré largement exclu du champ de l’analyse stratégique. Les directions générale, financière et même juridique ont eu tendance à percevoir cette discipline – qui a connu un développement spectaculaire à compter de la fin des années 1960 – comme une contrainte lourde et non comme un outil de performance susceptible de créer de la valeur. Mais si le droit qui régit la seule activité susceptible d’occuper l’être humain davantage que le sommeil et, plus prosaïquement, le sort des dix-neuf millions de salariés qui travaillent dans les entreprises françaises est exclu du droit des affaires, quel autre domaine juridique pourrait y prétendre ? En réalité, la vision très critique du droit social – qu’il était de bon ton d’arborer il y a encore peu de temps – traduisait essentiellement le fait que cette matière constitue l’exact point de tension entre la protection des salariés et la croissance économique. C’est précisément la raison pour laquelle, de discipline exclue puis périphérique du droit des affaires, le droit social en est non seulement devenu une composante autonome, mais est en passe d’en constituer sinon le centre, du moins le cœur.

Cette évolution majeure s’est directement répercutée dans l’exercice professionnel de l’avocat en droit social. Omniprésente, la stratégie lui impose de repenser son rapport au marché du droit, ses relations avec ses clients et son réseau relationnel, la structure au sein de laquelle il exerce, le cadre organisationnel et managérial au sein duquel il évolue, ainsi que le traitement au quotidien de ses dossiers.

Plonger au cœur du marché du droit 

La croissance des besoins en droit social ne s’est jamais démentie ces cinquante dernières années, à la faveur des innombrables réformes intervenues, de la créativité des juges et de la montée en puissance des droits subjectifs au détriment du droit objectif. Les cabinets se sont structurés pour répondre à la demande ; les entreprises leur ont rapidement emboîté le pas en recrutant massivement des juristes d’entreprise. Les experts-comptables ont également investi ce secteur dans une certaine mesure, de même que les cabinets de consultants dans toute leur diversité. Le marché du droit social est désormais arrivé à maturité : la concurrence y est forte ; les possibilités de croissance rapide se sont réduites. Les avocats exerçant dans ce domaine sont contraints de s’adapter et de s’interroger sur ce qu’ils sont et ce qu’ils souhaitent devenir. Le statu quo a disparu des schémas d’avenir envisageables. De nombreux cabinets ont toutefois longtemps confondu le fait d’adopter un plan avec celui de concevoir une stratégie, les associés se bornant par exemple à indiquer en début d’exercice aux équipes que la stratégie d’entreprise consiste à « faire mieux que l’an dernier et moins bien que l’année prochaine ». Mais des ambitions ou des objectifs ne constituent en aucun cas l’expression d’une pensée stratégique. Pour paraphraser la définition de la stratégie d’entreprise donnée par le célèbre manuel Strategor, la nécessité de choisir ses activités et d’allouer ses ressources de manière à atteindre un niveau de performance durablement supérieur à celui de ses concurrents dans ces activités, dans le but de créer de la valeur, est désormais impérieuse pour les différents acteurs du droit social. Pour reprendre la théorie de Kim et Mauborgne, ce marché est devenu un « océan rouge », c’est-à-dire un environnement concurrentiel saturé dont les acteurs doivent s’affranchir pour investir un « océan bleu », autrement dit un espace de marché nouveau, source de différentiation et de croissance. L’avocat est maintenant un entrepreneur presque comme les autres ; avec toutes les difficultés et contraintes que cela implique pour dégager le...