Le présent ouvrage s’inscrit dans une série de livres blancs et de guides pratiques du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz. Il revient, en 99 articles et entretiens, sur les principales évolutions du droit social et leur impact sur la profession d’avocat, tant sur le plan de l’exercice professionnel que de la gestion et de la stratégie de développement des structures d’exercice, autour d’écrits, de podcasts et de vidéos.
Réunissant près de 140 contributeurs, professeurs, avocats, magistrats, conseillers prud’hommes, inspecteurs du travail, responsables des ressources humaines, juristes, experts, etc., cet ouvrage ne prétend à aucune exhaustivité. S’il offre des clés de compréhension, il a d’abord été conçu comme une mosaïque de libres expressions et de contributions librement choisies par leurs auteurs servant de jalons à un débat plus large et approfondi. C’est ce débat, ce dialogue indispensable à une pleine adaptation aux changements présents et à venir, que le Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz entend accompagner, notamment avec l’organisation dans les prochaines semaines d’évènements-débats à Paris et en région.
Krys Pagani
Pilote du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz
Laurent Dargent
Rédacteur en chef, Dalloz actualité
Co-pilote du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz
Sur la place « singulière » de l’avocat en droit social dans un cabinet d’affaires
Publié le 29/11/2022
Philippe Rozec
40 années glorieuses, depuis le virage Auroux de 1982 ; le droit social a pris place dans les cabinets d’affaires. Agiles au contact d’une matière en constante évolution, attendons de ses acteurs qu’ils continuent à se décloisonner et aident le droit dans sa fonction régulatrice.
Dans les années 1950, les avocats plaidant en droit du travail à Paris étaient à peine 50. C’est à partir de 1968 que la matière s’affirma nettement, nos confrères militants s’y s’épanouissant (avec brio) aux côtés des syndicats, dans les traces des pionniers du SAF (Syndicat des Avocats de France), créé dès 1973 par Francis Jacob et Claude Michel, fervents défenseurs du programme commun de la gauche. Leur successeur, l’« avocamarade » (selon sa formule) Tiennot Grumbach reprit le flambeau, avec quelques autres, et suscita de nombreuses vocations, jusqu’à aujourd’hui.
L’avocat d’entreprise en droit social n’est pas né hier, non plus. Quelques noms, dont la notoriété s’estompe inéluctablement, mais qui nous ont marqué : Philippe Lafarge (bâtonnier de Paris 1988-1989 et décédé en 1999, plaideur hors pair, que j’ai eu comme enseignant à l’université), Jacques Barthélémy (dont j’ai intégré le cabinet éponyme en 1998, en quête constante d’une réhabilitation économique du droit social) ainsi qu’Hubert Flichy (croisé la première fois lors d’un stage chez Gide en 1996, remarquable manager d’équipe et, fondateur d’Avosial, fédérateur au-delà de ses intérêts propres).
Disons-le toutefois, la matière a parfois été mal perçue par le barreau d’affaires : droit « anti-économique », déroutant les canons académiques du droit des obligations par la toute-puissance de son ordre public social de protection. Ce Barreau d’affaires dont certains fleurons sont encore français (Bredin, Darrois, Gide, De Pardieu, etc.) mais au sein duquel la place des cabinets étrangers, américains surtout, est devenue prégnante, depuis leurs premières implantations (Coudert précurseur ou Cleary Gottlieb à la faveur du Plan Marshall après la Seconde Guerre mondiale) jusqu’à leur arrivée en masse à la fin du XXe siècle. Un phénomène d’imprégnation, par des cabinets dont les droits d’origine n’ont pas vu évoluer le droit social comme en France, et qui a fortement influencé une vision « minimaliste » du droit social par les avocats d’affaires.
En réalité, cette perception du droit social relève davantage d’une crainte que d’une aversion, crainte de ne pas réussir à maîtriser des concepts et risques supposant des années de pratique (ce qui n'est pas faux). Le rôle de certaines équipes dans les grands cabinets anglo-saxons est ainsi demeuré longtemps « supplétif », se cantonnant à du support aux activités dites « corporate ». Mais les choses ont notablement évolué depuis la fin des années 1990. La raison est connue : une multiplication des contentieux sociaux paralysant certaines opérations emblématiques de fusions-acquisitions (M&A) et les restructurations associées (arrêts Samaritaine et Majorette-Framatome). Ce faisant, le droit social, sous l’impulsion du Doyen Waquet, s’attaquait pour la première fois au cœur de l’activité des cabinets d’affaires. Et ces derniers se devaient de réagir et d’apporter une réponse à cette évolution et aux préoccupations de leurs clients. Depuis lors et sauf rares exceptions, tous les grands cabinets d’affaires se sont dotés d’une équipe solide de droit social.
Mais de manière moins rétrospective, comment se profile l’horizon ?
À première vue, un peu bouché : le droit social semble perdre de sa sensibilité et donc de son poids dans les cabinets d’affaires. La loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi a, au moins en partie, mis un terme à la guérilla judiciaire autour des restructurations par l’instauration du délai préfix de consultation et du contrôle administratif des plans de sauvegarde de l’emploi. La loi Rebsamen du 17 août 2015 a amputé le délit d’entrave de sa peine d’emprisonnement et en partie désensibilisé le sujet du point de vue des directions générales d’entreprises, clientes naturelles des cabinets d’affaires.
Il en ressort que l’intérêt pour la matière semble se rétracter, ou du moins ne compense plus aisément son déficit de rentabilité par rapport à d’autres domaines du droit de l’entreprise. Concomitamment, la concurrence est forte et s’accompagne, naturellement, d’une tension sur les honoraires auxquels les cabinets d’affaires restent particulièrement vigilants.
Plus largement, dans des périodes d’incertitude telles que celles que nous vivons, les cabinets d’affaires s’attachent à maîtriser leur courbe d’effectifs, là où le droit social suppose, en période de crise, des...